Le Nain de Pär Lagerkvist- 1943.

Pär Lagerkvist, auteur suédois mais aussi et surtout lauréat du Prix Nobel de Littérature en 1951, nous livre ici un ouvrage dont la simplicité et le dépouillement stylistique contrastent violemment avec un fond plus énigmatique. Dans son ensemble, l'oeuvre littéraire de Pär Lagerkvist est imprégnée d'une réflexion profonde sur le christianisme, et attaque vigoureusement les régimes totalitaires du XX° siècle: on retrouve dans 'Le Nain' la première de ces thématiques.
Piccolino est le nain et le bouffon-bien qu'il s'en défende- d'un puissant prince italien du XVI° siècle. Protégé par ce seigneur qu'il admire plus que tout, Piccolino doit néanmoins composer avec les petites et grandes humiliations qui font son quotidien.
'Le Nain ' est son journal intime, fractionné en courts paragraphes relatant ses pensées au jour le jour, ainsi que les anecdotes qui rythment la vie au château. Piccolino nous laisse deviner comment le mépris et la rancune qu'il porte aux gens qui l'entourent le transforment en un assassin monstueux et cynique. Ses crimes sont nombreux, qu'ils soient perpétrés de sa propre initiative ou au nom de son maître qu'il adore: assassinats, délations, tortures- souvent par pur plaisir... Mauvais génie, il distille dans tout le roman un sentiment de haine et de mort, jusqu'à être finalement mis hors d'état de nuire par celui qu'il admire le plus au monde, le Prince lui-même. C'est là son ultime déchéance.
- Extrait:
"Les nains n'ont ni patrie, ni père ni mère; nous sommes engendrés par des étrangers quelconques; afin que notre race se perpétue, nous consentons à naître en secret chez les plus misérables. et quand ces parents adoptés s'aperçoivent qu'ils ont mis au monde un être de notre souche, ils nous vendent à de puissants seigneurs, que notre difformité divertit et à qui nous servons de bouffons. Je fus ainsi vendu par ma mère, qui se détourna de moi avec horreur en voyant quel être était sorti de son sein, sans comprendre que je descendais d'une très vieille race. Avec les vingt scudi qu'elle reçu, elle acheta trois aunes d'étoffe et un chien de berger pour ses moutons."
On referme le livre perplexe, presque mal à l'aise... Avec un tel passif, comment espérer comprendre un jour Piccolino? La psychologie tourmentée du personnage est une énigme qu'on résoudra à la Saint Glin-Glin... Mais rien ne vous empêche d'essayer! Allez, je tente ma chance...
On referme le livre perplexe, presque mal à l'aise... Avec un tel passif, comment espérer comprendre un jour Piccolino? La psychologie tourmentée du personnage est une énigme qu'on résoudra à la Saint Glin-Glin... Mais rien ne vous empêche d'essayer! Allez, je tente ma chance...
- Parlons-en
Toute la vie de Piccolino est un constat d'échec et d'impuissance : il se rêve guerrier mais ne peut combattre; il rêve d'être comme le Prince mais n'est rien d'autre que son nain. Amoureux de la Princesse, il ne peut s'avouer à lui-même son sentiment. Difforme, il est malgré lui modèle vivant pour un savant qui le déshabille et le dessine pour satisfaire sa curiosité scientifique...
Bien que lucide et parfaitement conscient de sa disgrâce , il ne parvient paradoxalement à vivre qu'en s'illusionnant sur sa condition et en hiérarchisant le monde selon ses propres critères: il y a ainsi avec 'Le Nain' une inversion (voire une perversion) des sentiments: les idées les plus pures y sont traitées avec condescendance et dégoût tandis que Piccolino fait souvent l'apologie des actions les plus violentes.
Dans la même logique, il méprise et abhorre les 'humains' (pour lui les gens de taille 'normale'), dont il dénonce les vices. Par revanche et envie, il renverse alors la hiérarchie imposée par la taille en plaçant la ' très vieille race des nains' au dessus d'eux.
Mais pour Piccolino, ce sentiment de frustration s'exprime par la suite par le rejet de sa propre race et de lui-même: 'Ma propre lignée m'est exécrable! Mais je me hais aussi moi-même.'
Bien que lucide et parfaitement conscient de sa disgrâce , il ne parvient paradoxalement à vivre qu'en s'illusionnant sur sa condition et en hiérarchisant le monde selon ses propres critères: il y a ainsi avec 'Le Nain' une inversion (voire une perversion) des sentiments: les idées les plus pures y sont traitées avec condescendance et dégoût tandis que Piccolino fait souvent l'apologie des actions les plus violentes.
Dans la même logique, il méprise et abhorre les 'humains' (pour lui les gens de taille 'normale'), dont il dénonce les vices. Par revanche et envie, il renverse alors la hiérarchie imposée par la taille en plaçant la ' très vieille race des nains' au dessus d'eux.
Mais pour Piccolino, ce sentiment de frustration s'exprime par la suite par le rejet de sa propre race et de lui-même: 'Ma propre lignée m'est exécrable! Mais je me hais aussi moi-même.'
A la fois pathétique et fier, à la fois mégalomane et quantité négligeable de par son physique et son statut de bouffon à la cour, Piccolino établit des distortions subtiles du réel qui font de lui un monstre que le lecteur ne peut considérer sans effroi. Cruel, il est un anti-héros malveillant dont les principaux traits de caractère- amertume, dégoût et envie-expriment la solitude. En effet, Piccolino n'a que son journal intime pour confident. Cette solitude seule pourrait expliquer la haine qu'il porte au monde, et qui est en réalité sa véritable difformité...
- Quels lecteurs pour 'Le Nain'?
L'écriture est accessible à tous: très agréable, sa simplicité fait sa force. 'Le Nain' réconciliera les plus rétifs avec les classiques (du moins je l'espère...). Le rythme est soutenu grâce à la structure anecdotique en petits paragraphes. La difficulté du texte réside principalement dans la psychologie du personnage, mais c'est aussi le challenge le plus excitant! La noirceur du personnage jumelée à sa difformité nous plonge dans un abîme de perplexité: faut-il plaindre ou condamner Piccolino?
Pour ceux qui s' intéressent à la psychologie, au fond de l'âme humaine ( comme c'est bien dit!).
'Le Nain' de Pär Lagerkvist est disponible dans toutes les bonnes librairies aux Editions STOCK, coll ' La Cosmopolite', 8, 40 euros.
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